Un torrent de boue
Première naissance en un éclair.
Un éclair de lumière au milieu d'un torrent de boue.
Elle, ma mère, qui m'écrit chaque semaine pour m'insulter, me rabaisser, ou dire ses désirs de mort et de fausse-couche. Toujours les mêmes mots pour désigner l'acte qui signe cette grossesse - allumeuse, pute, salope - Même par écrit, j'entends le son écoeurant de sa voix résonner dans mes oreilles.
Et puis, tu n'es pas capable d'être mère, tu n'en seras jamais capable. Et un bébé c'est moche, informe, inintéressant. Et puis, il peut mourir cet enfant, tu peux très bien faire une fausse-couche. Tu aurais mieux fait de la provoquer d'ailleurs cette fausse-couche. Pour nous éviter la honte. Parce que tu as jeté la honte sur toute la famille.
La famille catho, bien pensante, qui ne pense qu'à une chose : sauver la face. On n'avorte pas dans notre famille. Ca ne se fait pas. On FAIT des fausses-couches.
Alors moi, j'attends presque pas. J'attends une drôle de chose - oui, une chose. J'attends cette chose dans un studio de 8 m², au prix exhorbitant pour ma paye. Et ça n'étonne personne cette gamine de 18 ans qui débarque à Paris, enceinte. Ca n'étonne pas l'assistante sociale auprès de qui je fais une demande de logement : je vis seule, mon studio est donc trop grand pour que ma demande soit prioritaire. Ca n'étonne pas non plus l'employé de la caisse d'allocations familiales qui vient mesurer mon appartement de long en large pour décréter qu'enceinte, c'est comme deux, donc mon studio est trop petit pour que je bénéficie de l'allocation logement. Ca n'étonne ni la directrice de la crèche, ni le gynécologue qui me suit. Tout le monde s'en fiche de ma détresse et de ma solitude.
Et lui, le père de cet enfant. Si absent. Si inexistant. Enfant perdu qu'il semble toujours être aujourd'hui.
Un cri immense.
Le silence.
Et en un éclair, il est là.
Et il est beau. Merveilleusement beau.
Et son regard me dit l'infini et la plénitude.
Et lui, le docteur, arrive trop tard. Tout est fini. Tout. Pas d'honoraires ? Mais si, voyons ! Il va fourrer sa main dans mon utérus sans raison, sans anesthésie. Il fourre sa main dans mon utérus au risque de me coller une infection. Seulement pour justifier d'empocher quelques piécettes. Et pendant qu'il fouille le vide, il bavarde. Avec elle. Elle, tout à l'heure si pleinement présente dans mon cri. Quelle idée d'être une gamine de 19 ans et d'accoucher, n'est-ce pas ma brav' dame. Eh oui, mon bon mossieu, que voulez-vous c'est le mal du siécle.
Je suis la honte de la famille et le mal du siécle.
Un éclair de lumière au milieu d'un torrent de boue.
Alors pétrir la boue avec la tendresse de l'éclair.
Alix