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Initiale
23 octobre 2005

...et son regard bleu-gris...

Bâtiment ultra-moderne, froid, anonyme. Peinture blanche et bleue. De longs couloirs qui n'en finissent pas. Des ascenseurs. Des portes qui s'ouvrent seules, en s'approchant ou en appuyant sur un bouton. Des portes qui s'ouvrent avec un bruit mécanique, métallique, électrique. Des portes qui s'ouvrent sur des êtres, sur des histoires humaines belles ou tristes ou dramatiques ou...tellement inattendues.

Les portes s'ouvrent.
Et elle s'engouffre précipitament.
Elle, vêtue de rose. Portant un paquet gris.
Elle s'engouffre et avec elle, le stress. Le drame qui vient traverser nos chairs avant même que l'on sache.
"On a trouvé un bébé dans l'escalier !"
Vite, le paquet est déposé en salle de réanimation.
Un simple pull gris.
Seulement un pull. C'est tout ce qu'on voit.
La vie, on la devine dedans. Quelle vie ? Dans quel état ?
Alors vite, déballer le paquet.
Alors, il apparaît.
Beau, rose, dodu, si dodu.
Serein...et son regard bleu-gris, si présent.
Lui, si présent et si serein.
Et nous dans le silence des gestes, dans le silence du temps.
Émerveillement dans l'inattendu de sa présence.
"Tu es beau petit ! Tellement beau ! Bienvenue à toi ! Oui, bienvenue !"
C'est sûrement ce que t'as dit ta maman aussi. Elle, qui t'a déposé si délicatement emmitouflé, bien au chaud, près du radiateur. Juste là où elle savait qu'on te découvrirait vite.
Et l'on te baigne. Et dans mes bras, tu retrouves les eaux matricielles.
Il a fallu prévenir les autorités. Alors, ils sont tous là autour de toi : le pédiatre, le chef de service, la surveillante...
Tous tellement émus de ta présence.
De ta présence si sereine.
Que nous dis-tu ?
Que dis-tu de ta naissance ?
Et nous pensons à ta maman. Quelle détresse ?  Quelle détresse avez-vous vécu ensemble ? Quelle solitude aussi, pour qu'elle n'ai pas osé venir accoucher ici entre nos mains. Et nous pensons à son corps, peut-être meurtri, déchiré par le passage. Qui prendra soin de son corps à elle ? Elle, qui a pris si bien soin du tien.
Demain elle devra, la toute jeune élève qui t'a trouvé, aller en mairie te déclarer. Elle te nommera des prénoms que nous avons choisi ensemble pour toi. Et, parce que c'est la loi, elle répondra à la question, la terrible question. Elle répondra : non. Non, elle ne souhaite pas t'adopter. Il est terrible ce non, presque comme un second abandon. Comme si personne ne voulait de toi. Il lui a fallu du courage pour le prononcer ce non. Ce non qui, en vérité, prolonge le don de ta maman : une famille t'attend qui t'a désiré pendant si longtemps. Une famille qui a connu l'âpre chemin de la stérilité et à qui tu vas offrir, par ta présence, la fécondité. Et la toute jeune élève se demande si elle, elle n'est pas stérile. Et si un jour, elle ne regrettera pas ce non donné avec tant de générosité. Elle se demande et puis se dit qu'elle ne regrettera pas. Aujourd'hui, c'est ailleurs que tu es attendu. Aujourd'hui, elle n'est que passeuse : les mains ouvertes, elle t'a recueilli ; les mains ouvertes, elle t'offre à ceux qui t'attendent.

Ils sont venus les hommes en bleu. Pour enquêter. Vous comprenez, ça ne se fait pas d'abandonner un enfant. Ils ont réclamé le pull comme pièce à conviction. J'ai tenté de m'opposer. "Il est à lui ce pull, c'est la seule chose qu'il a." "On lui rendra...plus tard..." "Oui, mais les odeurs...vous allez gâcher les odeurs. Ce pull, c'est son odeur, celle de sa maman"...Alors ils rigolent, et s'en vont faire leur boulot...

Dans l'émotion, on a oublié de prendre des photos du premier bain... de la première chemise, dont on ne se fout pas toujours aussi éperdument...

Qui t'a fait naître petit ?
Sais-tu encore aujourd'hui les mains ouvertes pour t'accueillir ?
Qui t'a fait naître, toi, l'inattendu ?
Ta maman qui, dans les tiraillements de sa détresse, a su malgré tout te protéger ?
Cette élève qui t'a recueilli, déclaré et puis offert ?
Nous tous qui t'avons nommé, baigné, bercé, dorlotté dans la joie de ta présence ?
Ces parents qui, après tant d'attente, t'ont adopté, toi, l'inattendu ?
Es-tu né à toi-même, pétri de ces présences aimantes ?
Qui t'a fait naître, petit ?

Petit, dans cet inattendu reçu et si vite donné, par les soins que je t'ai offert, une part de moi-même est née. Un petite part de moi-même, venue s'ajouter aux autres, glanées tout au long de mon existence. Toi l'inattendu, tu m'as offert une part de naissance. Chaque part se rassemble en ce lieu où je suis UNE, présente, forte, sereine. A l'Initiale.

Alix

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Commentaires
A
Merci 36_degrees pour ce compliment, il me touche.<br /> Alix
A
Franck, moi je crois que la lumière de l'Initiale est toujours allumée...mais parfois, je détourne mon regard, j'oublie l'essentiel...et je m'égare...<br /> Alix
3
c d'une beaute fole et eblouissant par l'emotion qu'il decoule
F
Je trouve ce texte bouleversant..... dans sa simplicité, et dans sa force, et dans la puissance de vie qu'il dégage... que tu dégage Alix<br /> Merci, oui, il faut revenir à l'essentiel, et à cet "initial" dont on cherche à allumer la lumière...pour éclairer notre route.<br /> Franck
A
Lechantdupain, je crois que les fées se penchent toujours sur les berceaux. Les bonnes comme les mauvaises. Et elles portent bien leur nom : les fées (l'effet). Que deviendront donc ces paroles : il est beau, il est calme, il est tonique, il est nerveux, il est fainéant, il est capricieux, il a le sale caractère de son père...ou de sa mère...Tant de mots sont dits au dessus d'un berceau, tant de mots dont l'empreinte restera gravée. Il faudrait nettoyer son âme avant chaque naissance, pour n'en garder que le meilleur.<br /> Bonne soirée à toi aussi lechantdupain<br /> Alix
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