Psychotique
"- Je suis psychotique !"
Je le regarde droit dans les yeux. Nous sommes face à face. Il est en train de nous expliquer qu'il est indispensable, ABSOLUMENT INDISPENSABLE que le nouveau-né ne soit pas seulement nourri par sa mère. INDISPENSABLE qu'il ait des contacts physiques, que sa mère lui parle, le berce, le caresse. Sa mère ou quelqu'un d'autre. ABSOLUMENT INDISPENSABLE.
"- Et si ça n'arrive pas ? et si la mère ne s'occupe pas de son enfant ?
- Alors, on est psychotique.
-Alors, je suis psychotique !"
Je me sens forte, sereine. Nous sommes face à face. Les autres n'existent plus, seulement nous deux. Je vois son regard qui dérape. Sa voix se casse, il balbutie.
"- Ce n'est pas possible, quelqu'un d'autre s'est occupé de toi et a joué le rôle de ta mère.
- Non, personne. J'étais seule, absolument seule. Je buvais mon biberon, seule, au fond de mon berceau.
- Ce n'est pas possible !
- Si ! ...et si je ne suis pas psychotique, c'est qu'il y a autre chose..."
Le regard vacille, se perd...trouve son issue : se replonge dans les notes de cours.
"- Continuons !"
Oui, continuons, pas la peine d'insister. Comment aurais-je expliqué ? Qu'aurais-je pu dire de l'Initiale ? Qu'elle est source et que c'est de cette source que j'ai puisé la force de vivre ? Qu'en aurait-il compris ?
Comment dire la terreur qui m'a vrillé les tripes dans le désert de ma solitude ? Comment dire que mon corps s'en souvient ? Comment évoquer la menace, la violence meurtrière qui peut s'abattre d'un instant à l'autre ? Comment dire qu'au fond de moi s'est vérouillé un long cri de détresse ? Interminable cri de détresse, dont seulement quelques particules se sont libérées lorsque, moi-même, j'ai donné naissance pour la première fois.
Comment dire que malgré la terreur qui me transperce, qui me plaque là, au fond de mon berceau, je sais l'Initiale. Je suis reliée à ma source. Je sais que je suis dans la traversée, qu'un jour, ailleurs, autrement, je connaîtrais la rencontre, cet entre-nous qui nous fait homme. Je sais qu'un jour, ailleurs, autrement, je connaîtrais la chaleur, la douceur, la tendresse.
Plaquée par la terreur au fond de mon berceau, je vagabonde...
Alix