La douleur de l'écriture
En fait, il faut que je vous dise, je ne sais pas écrire. Je parle. Je sais parler, je parle bien. Les paroles sont légères, elles en disent si peu. Elles s'envolent et disparaissent on ne sait où. Enfin, on croit qu'elles disparaissent...
On m'écoute et on me dit "tu devrais écrire". Pendant des années, je reste devant une page blanche. Je sais, au fond de moi, ce que j'ai à dire, mais rien ne vient. Les mots, les vrais, ceux qui viennent du fond des tripes et qui sont dans le chaos ; les mots ne traversent pas ma bouche. Je me dis que quelque chose est à jamais perdu puisque la parole, la vraie ne s'énnonce pas.
Que se passe-t-il aujourd'hui ? Je suis entrée dans le temps de l'écriture.
Rien ne s'est perdu. Tout est resté enclos en moi.
Un à un les mots vont s'arracher de moi.
Un à un ils vont venir dire mon enfer, ma perdition, mes égarements.
Un à un les mots vont me dénuder, me dépouiller.
Et c'est de là, de mon endroit le plus fragile - c'est de là, dans la fragilité de ma nudité que l'autre va venir me lire.
Je parle parce que ça m'est nécessaire.
Toute parole énoncée est vaine si elle n'est pas entendue.
Tout oser, jusqu'à prendre le risque de n'être pas entendue.
Et que diront les silences ? De quoi seront habités les silences ?
Me déposséder de ma parole. L'abandonner.
Quand elle atteint l'oreille ou le coeur de l'autre, ma parole n'est plus ma parole.
Douleur de voir cette parole que j'ai voulu dire et qui se déforme, se tord une fois énoncée et écoutée.
Douleur à réception des résonnances, des échos, des cris qu'elle suscite, alors qu'elle est déjà perdue parce que défaite.
Parler et attendre l'instant d'une perle rare quand, enfin, la parole, ma parole est entendue pour ce qu'elle est.
Alix