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3 août 2005

Les oreilles du canard

J'ai marché à côté de mon enfance. J'ai marché à côté de ma vie.
J'ai tué mon enfance en marchant à côté de ma vie.
J'en rêvais. J'en rêvais.
Je voulais être un garçon. Pour la satisfaire.
Je rêvais que c'était possible - qu'il suffisait d'être sage, d'être sainte.
Tous les matins, espérer. S'enivrer d'espoir.
Et dans l'espoir, oublier ce maudit corps de fille.
Tous les jours, retomber dans le gouffre et s'y perdre un peu plus.
Se faire battre, s'anéantir dans la violence.
Dans les déchaînements de la violence, pisser et jouir. Et s'abreuver de la haine de soi.
Se barbouiller de honte.
Chuter et rechuter sans comprendre le mensonge.
Ne pas comprendre le mensonge.
Ne pas comprendre le mensonge mais le savoir.
Chaque samedi, dans le confessionnal, ne pas savoir pourquoi on est là - n'avoir rien, rien à dire sauf "j'ai menti".
Chaque samedi, buter contre le mur et s'effondrer sans comprendre.
Et rester dans le mensonge. S'égarer dans le désert glacé du mensonge.
Marcher à côté de sa vie en quête d'un amour impossible. En quête de reconnaissance.
Marcher à côté de son enfance, et la laisser s'envoler sans l'avoir rencontrée.
A cause d'un mensonge. Pour plaire. Pour être aimée, reconnue.
Délaisser son enfance, non parce que son temps est révolu mais parce qu'elle est impossible à vivre.
Marcher à côté de son enfance comme le "vilain petit canard de la couvée" - c'est ainsi qu'elle me surnomme.
Alors quitter l'enfance comme un canard. En boitant. Sans savoir pourquoi.
Dans les yeux et les oreilles du canard, la risée, pour vous rappeler sans cesse que vous n'êtes ni une fille, ni un garçon, seulement le vilain petit canard de la couvée. Un canard boiteux.
Dans les oreilles du canard, la risée, mais jamais la suite de l'histoire.
Un vilain petit canard aux plaies sanglantes et dans ses oreilles, la risée. Un vilain petit canard bercé par la mélodie de son propre mensonge. Et qui se tait. Qui, si longtemps, se tait. Parce qu'il ne sait pas comment se disent les mensonges.
Dans les yeux et les oreilles du canard, l'injonction de marcher droit. Pour effacer même la trace du mensonge étouffé. L'injonction de marcher droit pour donner l'illusion de la blancheur et de la pureté, l'illusion de l'innocence de l'enfance. Mais le canard ne sait ni le blanc, ni le droit. Le canard boite et s'égare.

Tout au fond de l'oreille du canard, un étau de silence et de solitude.

Alix

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