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Initiale
11 novembre 2005

Ne pas chercher à se faire entendre

Je lis les commentaires sur mon dernier texte.
Le feu de la rage se ravive en moi.
J'en ai fini de tenter de me faire entendre. Tant d'années de ma vie à négocier, expliquer, mener des actions pacifiques, et se ramasser sans cesse le mépris, le dédain. Tant d'années pour en arriver là.
J'ai habité pendant 5 ans un quartier "verrue" d'un petite ville de province il y a 25 ans. Vous savez, ces quartiers à la triste réputation dans toute la ville, où l'on rassemble tous les cas sociaux. Le notre avait un plus : la prison en faisait partie. Toujours un ou deux gars du quartier à y séjourner. J'en étais un. "Cas soce". Même pas le smig pour vivre, un mari alcoolique et 4 mouflets, pondus les uns derrière les autres ! Parce que dans ces quartiers là, ça se reproduit comme des lapins, ils n'ont rien à faire d'autre. Ceux de la rue d'à côté, si fiers dans leur beau pavillon, ne se gêne pas pour le faire remarquer haut et fort à qui ne peux se lasser de l'entendre. Le mépris et le dédain, qui s'en lasserait ?
5 ans là.
La violence, pour moi, s'était déplacée. Je ne la subissais plus. Je la voyais. Le petit Marcel, 10 ans, qui s'était installé un matelas dans la cave pour aller passer ses nuits quand il ne supportait plus ses parents. Qui, sur son matelas, allait cuver aussi ses cuites dans la journée avec ses copains. Ça faisait rire sa mère. Sa mère, elle cognait son mari à tour de bras quand elle en tenait une bonne. Lui arborait quotidiennement son visage tuméfié et s'anesthésiait au gros rouge. La voisine du rez de chaussée, à l'humour ravageur malgré sa vie de misère, et qui frappait ses enfants à coups de poêle en prétendant qu'ils avaient la tête tellement dure qu'ils ne sentaient rien. La mère Julio Iglesias, oui, ça ne s'invente pas, qui se nourrissait à l'alcool et s'achetait des caisses entières de poissons frais qu'elle envoyait pourrir au fond de son armoire. Quand elle ouvrait sa porte au 2ème, je le sentais dans mon appartement au 4ème. Et Marie, si douce, si généreuse, qui trimait comme une forcenée, jour et nuit pour payer l'école privée à ses 4 enfants, pour qu'ils ne connaissent pas la même misère qu'elle. Marie, elle se faisait enculer par ses fils avec les encouragements de leur père. Sa fille, elle est revenue un matin après toute une nuit d'absence. Hébétée, elle ne se souvenait plus de rien. Violée. On ne saura jamais par qui. Et Juliette, morte d'une chute dans l'escalier, son homme a du un peu la pousser, un peu la bousculer, comme d'habitude. Il s'en souvient pas, il était plein, elle n'a rien du sentir, elle était pleine. Les flics ont classé l'affaire. Et nous, à tour de rôle, on a accueilli son fils, pour éviter qu'ils ne fracasse le père. Et puis, on s'arrange comme on peut entre nous, pour se partager l'eau et l'électricité quand il y a une famille qui n'a pas pu payer.
Dans ce quartier, il y a plus de places de parking que de bagnoles. Les courses, on va les faire à pied. Là juste à côté, il y a une petite coop. Qui ferme. Alors on va 500 m plus loin au petit supermarché. Le mardi matin. Toutes le même jour, pour se retrouver et se donner les nouvelles du quartier, pour décider des entraides nécessaires. Le directeur, ça ne lui plaît pas notre petit groupe dans son magasin. Il nous dit que ça nuit à sa clientèle. (C'est pas nous aussi sa clientèle ?) Il fulmine, passe et repasse, nous bouscule. Et puis un jour, il jubile ! Son magasin va fermer ! Lui, avec sa bagnole, ça sera pas un problème d'aller travailler ailleurs. Nous, maintenant, on fait 3 km à pied pour aller au supermarché.A la mairie, ils nous ont rigolé au nez quand on leur a présenté notre pétition pour dire non à la fermeture de la supérette.
Il y a eu le chauffage ici : une chaudière à charbon par appartement avec un système de distribution d'air chaud. La plupart des chaudières ont rendu l'âme et n'ont pas été remplacées. On se débrouille comme on peut avec un ou deux poëles à mazout en allant chercher des jerricans à la station service à côté. Ceux qui ont encore une chaudière ne mettent pas toujours du charbon dedans : trop cher. Ils partent avec leur vélo ou leur mobylette et leur carriole chercher du bois mort en forêt. On a froid l'hiver, mais pas beaucoup de dépenses de chauffage. Ce qui est quand même le principal. Mais ce n'est pas aux normes. Alors la normalisation arrive. Chaufferie centrale sur le quartier et des radiateurs dans toutes les pièces. On a chaud maintenant, et le loyer double avec les charges. Et il faudrait quand même qu'on remercie nos bienfaiteurs ! Qui ne comprennent pas notre ingratitude après tant de générosité de leur part. Et qui nous laisse un quartier dévasté par les bulldozers qui ont creusé les tranchées pour faire passer les tuyauteries. Rien n'est remis en état. Il faudra des mois et des mois de négociations avec la municipalité (union de la gauche !) et l'office hlm pour obtenir un aménagement de quartier décent. Des mois, où tous ces cons de gauche en costard cravate ne peuvent s'empêcher de nous cracher leur mépris à la figure à chaque rencontre. C'est maintenant que je dis "ces cons de gauche" parce qu'avant de me les coltiner, jamais je n'aurai dit ça. Un copine du quartier était femme de ménage chez le maire, socialiste, de la ville. En 1981, il était furieux le pauvre maire et il a su le dire : Mittérand avait augmenté le smig !
Et les relations avec le centre social du coin. Son leitmotiv, c'est l'accueil de tous quelque soit sa condition sociale. Alors la bourgeoisie locale s'engouffre et vient prendre à pas cher (pour elle mais pas pour nous) des cours de poteries, peinture sur soie ou de cuisine...histoire de savoir comment cuisiner le homard de mille et une façons. A la mayonnaise, ça finit pas lasser. L'animatrice de quartier, elle se fera virer. Elle ne sait pas se tenir à sa place. Trop souvent sur le quartier, pas assez dans le centre. Parce que, au centre social, la directrice veut mener "une politique innovante en matière d'enfant" (sic !!!), c'est à dire offrir aux gamines en robe à smocks des cours de yoga pour animer leurs mercredis et leur vacances. Ça stresse la richesse. Nous, sur le quartier, pendant les vacances d'été, on descend avec du pain, du chocolat et de l'eau. On distribue aux enfants qui sont enfermés dehors pour la journée pendant que la mère travaille : pas les moyens de payer une nounou. Et on joue, pour les occuper. Alors, l'animatrice, c'est sûr, elle a rien à faire là. Ni pendant ses heures de travail, ni en dehors.
Un jour, ils ont eu une idée. Me salarier comme animatrice. Histoire de me faire taire. De me placer à leur service au lieu d'être au service des gens du quartier. J'ai dit non. Ça m'aurait arrangé pour les sous. Mais j'ai dit non.
Un jour, ils nous ont menacé, moi et quelques autres. Avec tous nos gosses, c'est facile de trouver quelque chose qui cloche sur le plan social. J'ai dit même pas peur. Et j'ai continué. Ce que j'avais à faire.
Je suis un "cas soce" qui s'en est bien sorti. Ça, ils aiment. Ça justifie toutes leurs violences et leur dédain. Un jour, je suis devenue sage-femme. Mais c'est là qu'ils ont décidé de meurtrir le corps des femmes et de les faire accoucher dans des usines à bébés. Explications, négociations, manifestations pacifiques voire humoristiques, médiatisation. Ils nous ont entendu ? Non. Et pourtant, on a fait du tapage. Pacifique, certes. Mais on a fait du tapage. Au point que Mattéi a dit un jour devant l'assemblée nationale : "une petite maternité dont je tairais le nom, mais que tout le monde connaît."
Oui, tout baigne. Tout baigne pour tant de monde. Y compris pour les rmistes. Y compris pour toutes ces femmes qui s'en vont en pleurnichant se faire trancher le sexe pour mettre au monde leur enfant. Y compris pour celles qui tranchent, sans état d'âme, parce que la violence se conjugue aussi au féminin. Plus discrètement seulement. Seulement.
Non, on ne peut pas se faire entendre de ces gens-là. Ni pacifiquement, ni dans la violence. Même pas dans la violence.
Moi, je veux juste continuer à faire ce que j'ai à faire. Tant qu'ils ne m'ont pas encore écrasée.
Même si je dis tout ça pas vraiment en connaissance de cause.
Alix

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Commentaires
A
Oser dépasser les regards qui pourraient juger, toiser, classer...c'est un pas difficile à franchir...et pas toujours franchissable !...<br /> Je t'embrasse Chris<br /> Alix
A
Je suis touchée par ton admiration Nathalie, mais je ne sais pas si je la mérite vraiment...<br /> Alix
A
Lechantdupain, je ne me tais toujours pas même si le lieu de ma parole a changé, même si cette parole se fait plus rare. L'action dit...<br /> Alix
A
Merci, Franck, de ta présence...<br /> Alix
C
Merci Nadette. D'oser parler sur cette toile où sévis encore plus qu'ailleurs la langue de bois (de pute aussi non?)de la vraie misère, pas celle médiatisée, stigmatisée à la télé, la misère qui se démerde pour s'en sortir comme elle peut, avec dignité. J'ai toujours hésité à parler de mes origines sociales tant je pensais que ceux qui me lisent ne pourraient pas comprendre que j'avais été une petite fille dans un taudis sans chauffage et que ma mère avant de me coucher passait son fer à repasser entre mes draps pour pas que j'ai trop froid.Que j'avais eu faim parfois, et que ma maman faisait crédit pour le pain...On ne peut pas, on ne se sent pas autorisé à dire notre réalité, la réalité des autres, sans sombrer dans le mauvais zola, mais la vie c'est ça aussi. C'est ça aussi.<br /> <br /> Je t'embrasse.
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