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Initiale
12 novembre 2005

Bien trop tôt, il s'en est allé...

La vie se charge souvent de vous asséner avec force ce que vous n'avez pu comprendre autrement.
J'ai mis du temps à comprendre que lorsque j'accueillais un couple pour accoucher, j'attendais avec eux leur enfant. Je l'ai appris dans la douleur, quand celui que j'attendais s'en est allé.

Stridence de la sonnerie dans le hall.
Stridence dans la nuit.
Stridence qui vrille le coeur.
C'est le téléphone réservé au SAMU qui résonne. A l'autre bout du fil, c'est le plus souvent une mauvaise nouvelle. On est déjà sur le qui-vive en décrochant. Et puis non, pour cette fois, une banalité : celle qui bientôt va arriver est enceinte de presque 8 mois, elle a rompu la poche des eaux et a des contractions. Routine. Malgré la petite avance sur le terme, le bébé pourra sûrement rester auprès de sa maman.
Je feuillette le dossier en attendant. Quelques petits aléas de parcours, mais rien de bien grave. Tout devrait bien se passer.
Voilà, elle arrive. Son mari est auprès d'elle. Le médecin du SAMU me fait son compte-rendu.
Et tout à coup, c'est comme un cri d'alarme en moi : ce que j'entends, ce que je vois, ce que je sens avec ma main : tout me dit que le placenta s'est décollé précocement, que ce bébé n'est plus oxygéné et que sa maman est en train de faire une hémorragie interne.
Vite, j'écoute son coeur, il bat encore.
Vite, j'examine la maman : elle n'est pas près d'accoucher.
Aux premiers mots que je prononce, le mari a compris et s'effondre. Césarienne de toute urgence, on va essayer de les sauver. Essayer. Tout va très vite et pourtant les minutes sont longues. Il faut du temps pour préparer une césarienne, toujours beaucoup trop de temps quand on est dans l'urgence absolue.
Le brancard file à toute allure vers la salle d'opération. Je reçois des mains du chirurgien le petit corps inerte et je cours vers la salle de réanimation.
Tout est prêt. Le pédiatre et une puéricultrice attendent.
Chacun des trois connaît les gestes qu'il a à faire. Alors pendant de longues minutes, les gestes s'enchaînent presque mécaniquement. Et il faut bien finir par se rendre à l'évidence : aucune réaction, aucun signe de vie malgré tous nos efforts.
Il faut s'arrêter, ne pas s'acharner.

Il faut s'arrêter...

ET ON VOUDRAIT S'ACHARNER, S'ACHARNER, S'ACHARNER...

vous comprenez, il était vivant tout à l'heure. Vous comprenez ? Là, tout à l'heure, son coeur battait encore. Il y a à peine quelques minutes...Il est si beau, si beau...et il faut s'arrêter. Il est beau et il est mort. Voilà.

Et maintenant, il faut aller chercher son père dans le couloir. Il faut lui expliquer. Il faut le voir partir en claquant la porte. Il faut attendre. Lui laisser le temps. Et puis aller s'accroupir auprès de lui dans le couloir et poser une main sur son épaule. Est-ce que vous voulez le voir maintenant ? Est-ce que vous voulez le voir nu ou habillé ?
Soigneusement, j'ai choisi les plus beaux habits que j'ai trouvé et je l'ai vêtu. J'ai pris un joli drap couleur pastel pour recouvrir le matelas. Et surtout, je n'ai pas éteint la lampe chauffante. Je ne voulais pas qu'il refroidisse trop vite. Et puis, je l'ai contemplé en compagnie de son papa.

La maman s'en est bien sortie. Je suis allée les voir dans leur chambre le lendemain. Elle m'a pris dans ses bras et nous avons pleuré ensemble. Ce n'est pas professionnel de pleurer avec les patients. Cette fois, je me suis laissée aller en me disant que les collégues du service sauraient, elles, être professionnelles.

Ce petit là, comme tous les autres, je l'attendais. Je l'attendais et bien trop tôt il s'en est allé. Bien trop tôt.

Alix

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Commentaires
A
Moi, je ne supporterais pas de faire ce que tu fais Angéline ! Peut-être que, là, les rôles ont été correctement distribués ? Et pourtant la fin de vie et la naissance semblent si proches en effet.<br /> Dieu dans son immense bonté ne peut pas rappeler si vite à lui son Messie, il ne peut pas nous ôter le plaisir de clouer un homme de plus...<br /> Pour le "trop tôt", c'était une considération personnelle et très égoiste : plus tard, m'aurait évité la souffrance de cette perte. Mais, je suis de ton avis, mieux vaut trop tôt que trop tard...<br /> Alix
A
Oui, lechantdupain, autour de la naissance, vie et mort se cotoient et même s'enlacent si souvent.<br /> Habituellement, je tiens à ne pas imposer mes problèmes personnels en résonnance aux problèmes que les familles me confient. Il me semble que c'est la moindre des choses. <br /> Là, je me suis laissée aller spontanément. Je crois que c'est parce que nous pleurions ensemble le même enfant...<br /> Alix
A
C'est bizarre, je ressens quasiment la même chose avec les vieux que je vois mourir dans la confusion de leur alzheimer.<br /> Pourtant les médecins sont moins dans l'urgence avec les vieux.<br /> <br /> Peut-être que la vieillesse et la fin de vie "naturelle" soi-disant sont comme une naissance ratée. <br /> <br /> Mais cela me soulage, les enfants morts nés, ce genre de tragédies en deviennent presque positives. En même temps, peut-être qu'on en perd un nouveau Messie, un nouveau Dieu à mettre en croix.<br /> <br /> Mieux vaut s'en aller trop tôt que trop tard dans la confusion d'un esprit percé de part en part par...le monde et ses alentours. <br /> <br /> Sinon je ne supporterais pas de faire ce que tu fais, je préfère mes vieux mourants.
L
Tu as l'expérience de la vie et de la mort. "Cette fois, je me suis laissée aller en me disant que les collégues du service sauraient, elles, être professionnelles" Merci, pour ton humanité.
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