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Initiale
12 décembre 2005

Contre-courant

J'avais choisi le grand voyage, la traversée presque impossible. Je me sentais forte, confiante, habitée par la certitude. Raisonnablement, c'était presque impossible, et pourtant, j'y croyais. Raisonnablement, c'était de la folie d'y croire et pourtant, je n'envisageais pas l'échec. Au bout, tout là-bas de l'autre côté : un rêve. Un rêve avec des contours flous. Là-bas tout au bout, il y a le rêve et l'inconnu, l'inouï. La traversée je ne la savais pas encore, je l'imaginais difficile, fatigante. C'est ce qu'on m'en avait dit. Le samedi matin, le bus traversait l'hôpital pour aller au marché. Je regardais les bâtiments, et je pensais au rêve impossible. Une toute petite voix insidieuse se glissait pour me dire que je ne méritais pas une telle chance. Je la balayais et regardais droit devant vers le rêve. Je balayais la malédiction des générations : ma mère qui s'opposait à nos études supérieures, ma grand-mère qui s'était opposé aux études de ma mère, mon arrière-arrière-grand-mère qui s'était opposée aux études de ma grand-mère. Une à une, par un travail forcené, j'ai gravi les marches de la remise à niveau. J'ai commencé au grade 0. 0 en physique, 0 en chimie, 0 en biologie, c'était un peu mieux en français. Ça, c'était le tout début de la traversée. Ça, c'était presque rien et je le savais.
Et le matin du concours, la confiance plus que jamais. Raisonnablement, je reconnaissais que c'était idiot. Il faudra être la meilleure et je n'avais pas complètement rattrapé le niveau, surtout en physique où j'espérais juste glaner quelques points. Et je vois la copine, jeune bachelière, 20/20 dans toutes les matières, lessivée par le stress, livide, et qui passe plus de temps à vomir qu'à écrire. C'est elle qui aurait dû être en confiance, raisonnablement. C'est moi qui ai eu le concours, pas elle.
C'est là que la traversée a vraiment commencé. Les 40 ou 45 heures par semaine en cours ou en stage, les gardes de nuit ou de week-end, les cours à apprendre, le stress des examens, la présence auprès des enfants et l'organisation de leur garde pendant mes absences, les angoisses par rapport au budget trop serré, les courses à faire en calculant tout pour ne pas dépenser trop. La fatigue est arrivée, s'est installée comme une compagne encombrante, a vrillé le corps, déboussolé le coeur.
Campagne de promotion d'EDF : Gérard d'Aboville rame dans la tempête au milieu de l'océan et une voix off sussure le confort de l'électricité. Pour quelques centimes : une maison chaude, une douche chaude, des tartines grillées et un café chaud. Pour quelques centimes. Et moi aussi, j'étais en train de ramer dans la tempête et dans le froid au milieu de l'océan. Alors que le confort aurait été si simple : il m'aurait suffit de m'arrêter et d'aller percevoir toutes les aides sociales dont je pouvais bénéficier sans activité et avec 4 enfants. Je ramais et la fatigue m'abrutissait, m'aveuglait. Je ramais, c'est tout. Je ne savais plus d'où je venais, pour quoi j'étais partie, où j'allais. Je ne savais plus rien. Je ramais. Je ne savais plus rien mais je savais que j'avais su. Voilà, il était là le point de confiance: je savais que j'avais su et que mon rêve était tapi au fond de moi. Je ne me souvenais plus de mon rêve et pourtant je savais, que même enfoui, il me guiderait à bon port. Je ramais aveuglée de fatigue et habitée de certitude. Et je suis arrivée. En mauvais état. Mais je suis arrivée.

Et là maintenant, l'impression de me liquifier.

Au début, j'ai écrit :
Aller vers l'initiale. Toujours y revenir.
Initiale d'où a jailli ma décision de vivre malgrè la volonté de ma mère de m'anéantir.
Et là maintenant, plus de force vitale, seulement l'envie de me couler dans l'hémorragie.
Au début, j'ai écrit :
M'ancrer là, à l'initiale.
Et là, maintenant je dérive. Ça ne tient plus la route. Tout glisse, tout fuit.
Au début, j'ai écrit :
Marcher pour exister.
Et là maintenant, je ne sens plus le sol sous mes pas.
Et là maintenant, la fragilité, seulement la fragilité.
La fragilité, alors que je m'expose, que je m'oppose au courant. Je ne peux pas me glisser dans le courant du monde comme il va, comme il va si bien et si tranquillement. Comme il va avec tant de force. Je ne peux pas me glisser dans le courant et je ne tiens pas le contre-courant, là aujourd'hui.

Envie de me couler dans l'hémorragie.

Alix

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Commentaires
K
J'espère que tout s'arrangera pour toi. C'est vrai que c'est dur et peu de gens s'en rendent compte. C'est lorqu'on est touché qu'on voit que cela fait mal. Il est déjà trop tard. Tant que tu combats, il y a de l'espoir. De tout coeur, bon courage. Je sais que c'est facile à dire. Mais j'espère que cela ira pour toi.
A
Si la mer a l'éternité devant elle, moi aussi j'ai l'éternité devant moi.<br /> Il n'y a pas de sauvetage provisoire.<br /> Alix
P
La différence ? La mer a l'éternité devant elle , toi tu ne l'as pas. Ne laisse donc l'hémorragie décider pour toi de l'arrêt de ta vie comme tu en es tentée, doucement tentée; le poison de l'abandon est subtil, agréable même. L'écriture te sauve provisoirement: alors, de provisoire en provisoire, encore un effort: dépasse l'écriture, fais toi soigner d'urgence.
A
Printemps breton, les morsures : non merci, la vie s'est chargée de m'en délivrer suffisament.<br /> De là où tu es, es-tu allé mordre la mer parce qu'elle n'était pas à l'endroit qui te semblait convenant ? Ne lui as-tu pas laissé le temps du flux et le temps du reflux et le temps de l'étal ?<br /> Alix
A
Patricia, j'écrit rarement à l'imparfait et au passé simple...pas si simple pour moi.<br /> ...aïe, on entends encore les coups de rame !...j'aurai tellement envie d'un autre possible...<br /> Alix
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