Alix
Si j'étais née un 14 juillet, je me nommerais Fet.Nat.
Tu désirais Alexis. Tu désirais un garçon car tu détestes les filles.
Tu désirais un garçon, et c'est une fille qui est née.
Puis, 13 mois plus tard, une deuxième, grande prématurée.
Pendant cette deuxième grossesse, tu saignais. Tu as dû rester allongée, puis faire des navettes entre l'hôpital et la maison pour apporter le lait maternel.
Tu t'es épuisée.
Tu t'es épuisée, puis effondrée en apprenant en même temps une nouvelle grossesse et la malformation de ton aînée qui allait nécessiter platrâges et appareillages orthopédiques.
Et dans l'effondrement, le désir de mort.
Ta morale catholique te retient de consulter une faiseuse d'anges. Alors tu sautes et ressautes le muret espèrant que cette chose-là se décroche "naturellement". Je le connais bien ce muret, tu me l'as montré. Il n'est pas haut mais ses quelques dizaines de centimétres suffisent. Ils me suffisent pour, dans l'apesanteur du saut, décider de vivre.
Je suis née d'un désir plus grand, d'un désir plus fort que ton désir de mort.
Il peut tout m'arriver, il restera toujours cette part inentamable de moi-même où dans l'apesanteur d'un saut, je suis née. Dans l'apesanteur d'un saut, ma source m'a donné vie.
Dans l'apesanteur d'un saut, l'éternité. L'Initiale.
Alors tu t'es inclinée. Tu t'es installée dans l'attente d'Alexis...ou d'Alix.
Tu acceptes l'attente d'Alix, parce que plus jamais ça, non, plus jamais ça. Surtout, ô mon Dieu, plus jamais de nouvelle grossesse.
Tu aimes Alexis, tu ne veux pas l'abandonner aux quatre vents. Alors tu aimes Alix, pas la fille, non, seulement le prénom qui vient dire l'arrière-grand-père, qui te relie à ton beau-père que tu aimes tant. Tu aimes le prénom, sa musique, et surtout, tu aimes l'ascendance de cette filiation.
Et puis, je nais. En boulet de canon. Je te déchire. Troisième naissance, première déchirure.
Je suis une fille et je t'ai déchirée.
Du fond de ton épuisement monte la colère et le prénom claque comme un coup de fouet : celui de la sainte du moment.
Et tu me laisses seule, abandonnée.
Tu n'as pas abandonné Alexis.
Il est présent au coeur de notre enfance. D'autant plus présent, qu'il n'est pas là.
Il naîtra vingt ans plus tard du ventre de ma soeur aînée. C'est ton deuxième petit-fils.
Mon enfant, mon fils, je l'ai prénommé autrement pour le protéger de toi, de ta violence. Parce qu'il sort de mes entrailles et non des tiennes.
D'Alix, il me reste la musique du mot et l'ascendance, le lien de filiation.
J'ai deux arbres généalogiques, l'un est biologique : mon père est mon père et j'en porte le fardeau.
L'autre est affectif : mon grand-père, fils d'Alexis, est mon père, celui qui m'a élevée, portée vers le haut. Je suis la chair de sa chair, le sang de son sang.
Alix